Les journalistes s'intéressent à
l'extraordinaire, à ce qui rompt avec l'ordinaire, à ce qui n'est
pas quotidien - les quotidiens doivent offrir quotidiennement de
l'extra-quotidien, ce qui n'est pas facile... D'où la place qu'ils
accordent à l'extraordinaire ordinaire, c'est-à-dire prévu par les
attentes ordinaires, incendies, inondations, assassinats, faits
divers. Mais l'extraordinaire, c'est aussi ce qui n'est pas ordinaire
par rapport aux autres journaux. C'est ce qui est différent de
l'ordinaire et ce qui est différent de ce que les autres journaux
disent de l'ordinaire, ou disent ordinairement. C'est une contrainte
terrible : celle qu'impose la poursuite du scoop. Pour être
le premier à voir et à faire voir quelque chose, on est prêt à
peu près à n'importe quoi, et comme on se copie mutuellement en vue
de devancer les autres, de faire avant les autres, ou de faire
autrement que les autres, on finit par faire tous la même chose, la
recherche de exclusivité, qui, ailleurs, dans d'autres champs,
produit l'originalité, la singularité, aboutit ici à
l'uniformisation et à la banalisation.
"Sur
la télévision" P. Bourdieu, 1996.